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Construction paysagère et terroir viticole dans le Vouvrillon
Publié le 23 mai 2017
Le vignoble de Vouvray s’inscrit dans le Val de Loire, en Touraine. Il domine le fleuve royal et participe à ce paysage emblématique, aujourd’hui inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
L’histoire de ce paysage commence il y a 15 millions d’années. La Touraine est alors recouverte par une mer, la mer des Faluns riche en animaux marins. En effet, au début du Miocène moyen, l’Est de la Bretagne, l’Anjou et la Touraine s’affaissent au-dessous du niveau marin. Les eaux de l’océan envahissent cette dépression et la transforment en un golfe marin. Peu à peu, les restes des animaux marins, associés aux alluvions déversées par les fleuves qui s’y jetent, aux sables recouverts par la mer et remaniés par les courants et aux produits de l’érosion marine finissent par combler ce golfe en constituant un calcaire impur localement appelé Tuffeau. Puis un mouvement d’ensemble relève le fond du golfe et chasse la mer.
Cette surface calcaire est ensuite incisée par la Loire et ses affluents. Il en résulte un plateau, surface entaillée par des vallées, berceau du vignoble de Vouvray. Ce calcaire affleurant se trouve vite dissout. En effet, le calcaire est une roche soluble sur lequel les écoulements de surface sont rares car remplacés par des infiltrations. Cela se matérialise aujourd’hui dans le paysage par plusieurs vallons secs qui s’ouvrent sur la Loire. Mais, comme nous l’avons vu, le tuffeau tourangeau n’est pas pur. Aussi, après sa dissolution, la concentration des résidus (argiles, sables, silex) forme une formation superficielle d’argile à silex qui recouvre le tuffeau. L’ensemble est enfin comme saupoudré d’une fine pellicule de limon éolien. Le vignoble de Vouvray se localise donc sur un plateau calcaire, en bordure de la Loire et est lacéré par plusieurs vallées ou vallons, drainés ou secs.
C’est dans ce support naturel que l’homme s’installe. Il essaie d’en tirer le meilleur parti. Sur le haut du plateau, les sols à base d’argile à silex ne sont pas très bons : aucune culture exclusive ne s’y pratique. On y trouve une polyculture, de l’élevage, des bois, etc. C’est la gâtine tourangelle qui limite au nord le vignoble de Vouvray. Lorsque les pentes s’affirment, les sols sont moins épais et le tuffeau plus affleurant. Ses sols, localement appelés Perruches, sont encore moins bons que les précédents. Ils ont été très longtemps occupés par des bois et des prairies. Depuis la fin du 19ème siècle début 20ème, ces sols sont voués à la vigne qui produit ici moins de fruits, mais de qualité bien meilleure.
L'origine de ce vignoble, et plus généralement des vins de Loire, est relativement ancienne, et remonterait au deuxième siècle après JC (Dion, 1934). Progressivement, ils vont connaître un essor pour atteindre leur âge d'or aux environs du XVIIIème siècle, du moins en Touraine, à l'époque de l'arrivée des rois dans la Vallée de la Loire. La fin du XVIIIème siècle amorce une période de crise pour les vins de Loire, sous les effets conjugués de la révolution française et plus tard des maladies affectant à plusieurs reprises les vignobles, notamment le phylloxéra. Pour lutter contre ce puceron, la greffe est généralisée (porte greffe américain résistant au phylloxéra et greffon prélevé sur espèces locales), une solution qui a permis de sauver le vignoble mais qui entraîna la diffusion du mildiou. Il faudra attendre le début du XXème siècle, avec l'utilisation massive de la bouillie bordelaise, pour que la vigne française et tourangelle en particulier sorte de ce tunnel.
Cette renaissance du vignoble coïncide avec des bouleversements importants qui vont conduire à sa réorganisation : (1) le développement des moyens de communication (en particulier le chemin de fer) met en concurrence directe les vins des différentes régions de France. Les vins produits dans le Sud de la France inondent le marché (Dieudonné 2007) ; (2) la diffusion du fil de fer qui marque la disparition de la conduite sur échalas remplacée par le palissage ; (3) les pertes considérables de la première guerre mondiale entraînent un manque de main d'œuvre. Tous ces éléments précipitent la viticulture vers de nouvelles formes, moins contraignantes et plus en phase avec les techniques d'alors. Très rapidement, disparaît tout un aspect du paysage viticole, très "archaïque", une polyculture où les pieds de vignes se partagent l'espace avec d'autres cultures localement appelées « jouelles » (Lamouse De La Touche, 1925). On passe d'un paysage d'apparence désordonnée à un espace beaucoup plus rationnel, plus unifié et plus géométrique : les pieds de vigne sont alignés, tous les 3/4 rangs une largeur plus importante (2,50 à 3 m) est préservée pour laisser passer les charrettes (Yengué, 2008).
Malgré tout, la rentabilité n'est toujours pas à la hauteur de celle de l'âge d'or. Alors, les viticulteurs français, dont ceux de Vouvray, choisissent de s’orienter vers une production de qualité. Cette volonté impose de trouver une bonne adéquation entre le sol et le cépage. Les grands clos favorisent dès lors une implantation précise, coteaux, bordures de plateau, etc. (Dion, 1991), délaissant les sols chimiquement meilleurs. Cette spécialisation, commencée d'une manière très insidieuse dès le XVIIIèmesiècle, va se systématiser dans les années 1925 (Elle se poursuit et s'affine encore aujourd'hui). La recherche de la qualité va s'accompagner très rapidement d'une volonté de labellisation, d'encadrement et de réglementation. En 1935 se développe la notion d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) entérinée l'année suivante par la création de l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO), organisme qui en a la charge. Comme dans toute la France, les années qui suivent voient le redéploiement du vignoble de Vouvray (Guengant-Jira M. 2006, Yengué, 2003) et surtout une croissance de la production avec une double conséquence. D'une part la concrétisation la notion de terroir, un territoire délimité géographiquement avec des aptitudes (nature des terres, configuration géographique et climat) et valorisé collectivement par un produit original. D'autre part, la fabrique des grands traits du paysage viticole qu'on connaît aujourd'hui avec ses rangs de vigne uniformes, ses ambiances, ses bâtiments (loges, caves creusées dans le tuffeau, chais, demeures de caractère) (Yengué, 2010).
- Nous sommes ici sur les terres les plus fertiles tapissées d’alluvions qui peuvent supporter les cultures les plus exigeantes : le maraichage. La proximité de l’agriculteur réduit la peine de travaille.
- Avant l’avènement du chemin de fer au 19ème, le mode de déplacement des produits pondéreux était le fleuve. Toute l’activité économique et par ricochet toute la vie se déroulait à proximité des cours d’eau.
Mais s’installer au bord de l’eau, c’est composer avec les furies du fleuve. Il divague d’une année sur l’autre d’une rive à l’autre. Il déborde régulièrement. Ce comportement imprévisible est bénéfique. Par l’apport en alluvion qu’il engendre, il participe à l’amendement des champs. Les rares agglomérations ou maisons isolées étaient construites sur des monticules insubmersibles (les montilles) ou sur des sols artificiellement isolés par surélévation (les tertres). Partout ailleurs, la plaine était globalement occupée par une végétation spontanée et par une agriculture composée de plantes « amies des sables ». Le lit majeur était occupé par des groupes humains qui exploitaient les zones humides traditionnellement : pêche, chasse, cueillette, élevage, exploitation du bois, de l'énergie hydraulique, connaissant et acceptant le fonctionnement hydrologique et l'aléa.
Mais, pour protéger les chemins et surtout les terres riches en alluvions issues des débordements réguliers du fleuve, les riverains de l’époque réalisent de petites digues discontinues placées aux points d’irruption des courants de débordement : les « turcies ». Elles ne protègent que des terres très riches et inhabitées, et sont conçues pour se désagréger lors des plus fortes crues. Les paysans qui vivent sur les buttes ne se sentent pas vraiment menacés par la rupture de ces digues. En revanche, les propriétaires terriens qui tirent leurs revenus de l'agriculture de la vallée, ont tout intérêt à ce que les turcies soient parfaitement entretenues, car elles sont indispensables à la mise en valeur de leur domaine. A leur demande, dès 1160, Henri II Plantagenêt fait installer en Anjou, des « hôtes », issus de la population locale, chargés d'entretenir ces digues et de les habiter. L’idée se répand ensuite vers l’amont, en Touraine. Commence alors, sous l’impulsion d’une population nouvellement établie par le roi, étrangère aux usages et traditions du Val de Loire, la construction de puissantes et hautes digues censées résister à de grandes crues. Au cours des XIIIe, XIVe et XVe siècles, aucun débordement n’éprouve significativement ces ouvrages. Les turcies apparaissent alors comme des ouvrages fiables, parce que bien entretenues. Leur bien fondé étant prouvé, de nouvelles digues sont alors construites. De turcies, ces levées modernes deviennent d’uniformes remblais limitant les divagations naturelles du fleuve, encore présentes dans le paysage.
La Loire, les levées, le front bâti, le vignoble morcelé par les vallées sèches ou drainées laissant la place en transition douce vers le nord à la polyculture, tels sont les archétypes du paysage actuel du vouvrillon. Ce paysage est en réalité la résultante de l’installation, de l’adaptation des sociétés humaines sur ce territoire, fortement contraint par la géologie et l’hydrologie. Il s’agit bien d’une construction humaine, directement en phase avec les modes de vie, les habitudes, la culture, la technologie du moment. Puisque tous ces éléments sont en constante évolution, le paysage qui en est la matérialisation est aussi très dynamique. Tel un palimpseste, les sociétés actuelles fabriquent leurs paysages sur des éléments légués par les sociétés passées. Dans le vignoble de Vouvray, on peut apercevoir de belles demeures en tuffeau, contemporaines des rois de France, des loges de vignes témoins d’une pratique vigneronne aujourd’hui révolue, des châteaux d’eau, corolaires de l’arrivée d’un certain confort au milieu du 19ème siècle, les barres et les tours de St pierre des Corps, stigmates de l’urbanisation de l’après guerre, les marques de la vie contemporaines : lignes à haute tension, autoroutes, lotissements, etc. Pour l’œil averti, même la végétation participe à cette richesse paysagère, depuis les cèdres bleus du Liban, signes extérieurs de noblesse aux 18ème et 19ème siècles, jusqu’aux peupleraies dans le fond des vallées, marques d’une lutte en son temps acharnée contre les zones humides.
Se pose alors question de la préservation de tous ces legs des sociétés passées construits dans les conditions qui ne sont plus actuelles, et qui ne permettent donc plus de les faire vivre et les entretenir. L’enjeu est de pouvoir concilier ce patrimoine, les éléments (banaux ou pas) des vies passées devenus emblématiques (dont il faut déjà identifier ceux qui méritent d’être préservés), et la nécessité de vivre selon les modes du moment. Rude question que de concilier le passé et le présent tout en se tournant vers l’avenir.
Plusieurs outils, organismes ont pour ambition de tendre vers ce développement harmonieux. Pour les organismes, certains sont publics (les communes (Vouvray, Vernou sur Brenne, etc.), la communauté de communes du vouvrillon, le département d’Indre et Loire, la région Centre, la Mission Val de Loire, l’Etat à travers ses services décentralisés, l’Europe, l’ONU, etc.), d’autres privés ou associatifs (associations de riverains, de vignerons, de protection du patrimoine, etc.). Parmi les outils qui sont pour certains opposables et d’autres non, nous pouvons citer le PLU, le SCOT, le Plan de Gestion, etc. Nous sommes donc tous impliqués, directement ou indirectement, dans la fabrication des paysages de demain.
Bibliographie
Clamouse de la Touche Pierre, 1925. Etude sur les vignes et les vins du Chinonais, thèse d'ingénieur de l'Institut agricole de Toulouse, 101p
Dieudonné Franck, 2007. La notion de terroir au service de l'économie viticole : étude de cas Saint Nicolas de Bourgueil. Mémoire de M1 Science de l'homme et de la société, Spécialité Géographie, Université de Tours, 125p.
Guengant-Jira Marie, 2006. Paysage viticole en Chinonais. Le cas du Véron. 100 ans d'évolution d'un paysage viticole. Mémoire de second cycle, diplôme de Paysagiste DPLG. Ecole Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux. 79.
Yengué Jean Louis, Boutin Dominique, Servain-Courant Sylvie, Verdelli Laura, 2010. Wines of the Loire Valley: activating the quality initiatives which would take into account the landscape? Example of vineyards in Touraine (France). Proceedings VIII International terroir congress, June 2010 Italy, Vol 2 pp 5-125 à 5-131
Yengué Jean Louis, Rialland-Juin Cécile, Servain-Courant Sylvie, 2008. The wine country, between landscape and promoting toolThe example of Chinon and Saint-Nicolas-de-Bourgueil vineyards (France). Proceedings VIIe International terroir congress, may 2008 Suisse, Vol 2 pp 727-733
Yengué Jean Louis, Servain-Courant Sylvie, Boutin Dominique, 2003. Viticulture et évolution des paysages en Loire moyenne, Vernou-sur-Brenne (Indre-et-loire, France), Actes du colloque international paysages de vignes et de vins, 2-4 juillet 2003, Fontevraud, pp 175-177.
Acteurs
Auteurs
- Jean Louis Yengué
- 2011
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