CC BY-NC-SA Francis Vautier / Mission Val de Loire

Pêcher

La pratique de pêche est extrêmement polymorphe en Loire, de par la présence de diverses catégories, qui ont des droits d’usages du fleuve variés, voire divergents parfois, et donc une batellerie différenciée. Ce qui relie les différentes catégories de pêcheurs est la recherche des mêmes espèces, et une pratique régulière du fleuve.

Les pêcheurs aux lignes emploient rarement un bateau, excepté des plates de Loire pour aller pêcher de manière ponctuelle dans les zones calmes du fleuve, notamment dans les bras secondaires, ou des zones de crues. Certains d’entre eux utilisent également le float-tube, ou de petites unités contemporaines, motorisés, en résine ou en alu.

Les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets voient leur nombre vivement diminuer chaque année, fragilisant la transmission des pratiques. Ces pêcheurs sont adhérents d’une Association Départementale des Pêcheurs Amateurs aux Engins et aux Filets (ADAPAEF) elles-mêmes fédérées à l’échelle nationale. L’ADAPAEF de chaque département est locatrice des baux de pêche (amodiation) du Domaine public fluvial, découpé en plusieurs lots de l’amont à l’aval. Chaque pêcheur prend une licence annuelle pour un lot (licence « petite pêche »), agrémentée, éventuellement, d’autres droits (anguille jaune, lamproie, carrelet de terre). Chaque lot mesure, en moyenne entre 10 et 15 km. Les pêcheurs aux engins et filets pratiquent selon une réglementation stricte. Chaque préfet fixe annuellement les pratiques, spatialement (réserves), temporellement (dates d’ouverture-fermeture, calendrier), et techniquement (nombre, type et qualité d’engins et filets autorisés). Il est d’usage, sur la Loire, d’employer une plate pour aller poser et relever les engins et filets. Chaque pêcheur a son coin de pêche, qu’il partage fréquemment avec quelques amis, voisins, ou membres de sa famille. Il n’est ainsi pas rare de partir relever à plusieurs. Les engins sont généralement tendus plusieurs jours, voire semaines durant, et relevés quotidiennement. Cela dépend fortement des conditions du fleuve, trop de crue, ou un étiage prolongé sont évidemment peu propices à ce type de pêche. Les pêcheurs embarquent une rame et une gaffe, ainsi qu’un long crochet pour attraper les cordées qui tendent les engins, ou les flotteurs (généralement des bidons vides). Ils emploient parfois une grande perche pour se déplacer le long des berges, ou durant les crues et étiages, pour sonder. Plusieurs pêcheurs sont passés aux plates aluminium, et certaines associations ont fabriqué des plates neuves, soit en bois, soit en résine. Quelques femmes sont titulaires de ce type de licences.

Les pêcheurs professionnels fluviaux sont locataires, grâce à des baux de pêche de plusieurs années, généralement de plusieurs lots. Cela leur permet de diversifier leurs pratiques, et d’avoir un linéaire exploitable suffisamment viable, économiquement parlant. Ils ne sont désormais plus qu’une grosse vingtaine, de l’amont jusqu’à Ancenis, et sont représentés par l’AAPPBLB. Tous exercent sur plusieurs kilomètres de fleuve, et diversifient les engins que les arrêtés préfectoraux annuels leur autorisent. Leurs pratiques revêtent un caractère largement saisonnier, dépendant des migrations de nombreuses espèces et des conditions de navigation du fleuve. Un étiage sévère asthénie les poissons, rend délicat le passage de seuil ou d’épis, et ferme les boires et bras annexes, quand une forte crue rend la navigation et la pose d’engins périlleuse. Un temps chaud prolongé, sans mouvement d’eau hypoxie, voire anoxie le milieu. De longues et fortes crues emmènent les poissons à l’aval, et arrachent des engins, qui sont alors perdus. Les pêcheurs emploient une batellerie adaptée à chaque engin. Pour les nasses et bosselles, posées en filière, ou pour les verveux par exemple, les pêcheurs n’ont besoin que d’une plate. À l’inverse, pour d’autres pêches, comme celle à l’anguille d’avalaison ou au filet-barrage, ils mobilisent des moyens nautiques plus vastes : le guideau, pour l’anguille argentée, ou la toue cabanée, pour le filet-barrage. Chaque pose et relève nécessite de savoir lire le fleuve, en vue d’obtenir la maîtrise concomitante du bateau et de l’engin en cours de manipulation. Le pêcheur doit ainsi réussir à maintenir son bateau dans un axe précis, tout en réalisant sa manoeuvre de pose ou de relève. Cela requiert une grande dextérité, et une fine connaissance du fleuve.

À l’extrême aval, la batellerie se diversifie, estuaire oblige, et les influences maritimes sont partout. Les conditions de navigation évoluent, avec une influence des marées jusqu’à l’amont de Nantes désormais, et une remontée de la salinité. La Limite des Affaires maritimes, qui sépare la navigation fluviale de la navigation maritime, se situe à Nantes (premier obstacle à la navigation en remontant de la mer). Les bateaux de pêche en aval de cette ligne sont maritimisés, et adaptés aux conditions estuariennes, voire marines, même si jusqu’aux îles de la Basse-Loire, la batellerie traditionnelle ligérienne a été employée, et l’est encore marginalement (toue, chaland, plate).

Les pêcheurs possèdent ainsi tous d’importants savoirs liés au fleuve et à la manière de le naviguer. Présents quotidiennement, et dépendants de ses évolutions journalières pour pratiquer leurs activités, tant professionnelles que amatrices, ils le scrutent jours après jours, et connaissent finement les moindres recoins de leur lot de pêche. Ils savent également conter et analyser l’évolution de la géomorphologie ripuaire, de la végétation riveraine, et de la bathymétrie sur le temps long, et sont aux avant-postes des changements environnementaux que le fleuve et ses occupants vivent et subissent depuis plusieurs siècles (étiages accrus, sécheresses, disparition des saumons, pollutions…). Au-delà des catégories techniques ou économiques, tous partagent une recherche quotidienne des poissons et crustacés de Loire, et une forte connaissance du fleuve.

Illustration principale : CC BY-NC-SA Francis Vautier / Mission Val de Loire