Domestiquer le fleuve © Étienne Davodeau

Domestiquer le fleuve

Faut-il élever des digues ou accueillir les débordements du fleuve ? Élaborée au XIXe siècle par l’ingénieur Comoy, la doctrine de protection qui combine différentes approches prévaut encore aujourd’hui.

La maîtrise des eaux de Loire a toujours été un sujet de préoccupation pour les communautés ligériennes qui occupent le lit du fleuve. Pour s’y implanter, cultiver ou naviguer, il est essentiel de comprendre, d’anticiper et d’accompagner les fluctuations de la Loire. Les moyens déployés pour s’adapter et contraindre sont, jusqu’au XXe siècle, le fruit d’une accumulation d’aménagements liés à l’évolution des pratiques et des doctrines. Dans son mémoire sur les ouvrages de défense contre les inondations, l’ingénieur Guillaume Emmanuel

Comoy, figure singulière des ingénieurs du XIXe siècle, évoque l’opposition historique entre les partisans du contrôle total du fleuve et ceux qui prônent l’ouverture des levées et l’accueil de l’eau. Pourtant, ni la surélévation des anciennes levées au XVIIIe siècle, ni l’ouverture ou le maintien de déchargeoirs n’évitent les catastrophes du siècle suivant. En 1846, 1856 et 1866, trois crues balayent les certitudes et les terres agricoles du val : de plus en plus hautes, constituées de matériaux hétérogènes, peu ou mal entretenues, les levées, qui ont la lourde tâche de contenir la pression des eaux, cèdent en de nombreux endroits.

Une doctrine encore en cours

Conscient de l’ampleur du drame, l’empereur confie la direction des études à Comoy à partir de 1856. Faute de pouvoir atteindre la hauteur adaptée, ce qui aurait nécessité un bouleversement profond du val, il mobilise les connaissances des ingénieurs de l’ancien régime pour échafauder une doctrine technique nouvelle, mêlant approche scientifique des débits et connaissance fine du terrain. Il met en évidence le lien entre l’endiguement, la dimension du lit majeur et l’augmentation du débit maximum du fleuve. Il cherche à renforcer certaines parties des digues anciennes, tout en acceptant « l’idée d’une introduction ponctuelle des eaux dans les vals endigués, [...] pour en atténuer [...] les effets ». Cette doctrine de protection, qui prévaut encore aujourd’hui, a imposé l’arrêt, en Loire amont, d’importants travaux d’aménagement en contradiction avec les propositions de Comoy.

Illustration principale : Domestiquer le fleuve © Étienne Davodeau