Vers un peuple de Loire
Passer du statut de maître, puis d’usager à celui de gardien d’un fleuve n’est pas simple. Pour que la Loire ne soit plus perçue comme une simple ressource disponible, pour questionner notre rôle parmi les vivants dépendants du fleuve, il faut emprunter une voie nouvelle.
Les premiers jalons remontent probablement à 1972, quand le juriste Christopher Stone propose d’accorder des droits aux arbres et que le premier rapport Meadows pose des limites à la croissance.
Vingt ans plus tard, en 1992, Christine Jean, coordinatrice du Comité Loire vivante, devient la première femme récompensée par le prix Goldman pour l’environnement pour son action. Surnommée "madame Loire", elle prend la parole au nom du fleuve et ouvre une voie que prolonge le projet des auditions Vers un parlement de Loire. Lancé à l’initiative du POLAU-pôle arts & urbanisme, il explore les liens et les attachements entre le fleuve et ses habitants.
Influencée par les travaux des philosophes Bruno Latour et Catherine Larrère, de l’anthropologue Philippe Descola et de la juriste Valérie Cabanes, la démarche s’inspire du mouvement mondial qui vise à accorder des droits à la nature. Entre 2019 et 2020, l’écrivain et juriste Camille de Toledo propose une fiction articulée autour d’une série d’auditions qui préfigure ce que serait une enceinte où des humains et des non-humains pourraient siéger et prendre des décisions. Au-delà du dispositif, l’exercice consiste à apprendre, écouter et prendre la mesure de nos concernements.
Le dessein d’un paysage commun
Au niveau international, l’Unesco relie les enjeux de préservation des réserves de biosphère à ceux des paysages inscrits. Les activités traditionnelles, savoirs populaires, pratiques vernaculaires… sont indissociables des milieux dans lesquels ils s’inscrivent. Ils dessinent un paysage commun sur lequel il faut veiller collectivement. Il ne s’agit plus de faire triompher la technique sur une nature réifiée, mais d’appréhender les enjeux de cohabitations et de mesurer à quel point nous sommes re-lié·es.
À la question posée par Bruno Latour lors de son audition, « Qui est le peuple de Loire ? », nous pouvons désormais répondre que les habitants, pêcheurs, batelières, promeneurs, scientifiques, artistes ou touristes de passage forment un collectif bigarré, de plus en plus concerné par la défense d’un peuple de Loire aux ramifications bien plus étendues. Sables, graviers, saumons, anguilles, aloses, saules, gravelots, hérons, loutres, castors, corbicules… l’enrichissent de perspectives nouvelles.