Vue sur les îles de Mareau depuis le coteau à Saint-Ay. © Damien Hémeray / Loiret Nature Environnement

La nature à la rencontre de la culture

Quels enjeux, quels défis pour la réserve naturelle nationale de Saint-Mesmin face aux usages de cet espace par les habitants de la métropole d’Orléans toute proche ? 

La réserve naturelle nationale de Saint-Mesmin, seule réserve naturelle du site inscrit Val de Loire Patrimoine Mondial, est originale, à l’aval d’Orléans. Elle protège un tronçon de Loire sur près de 9 kilomètres, étroit ruban de nature, situé entre digues, surfaces agricoles et espace urbanisé. Au rythme des crues et des étiages, le fleuve modèle ses paysages. Les boisements, installés spontanément dans la réserve comme ailleurs, témoignent d’une forte dynamique naturelle.

Trois entités se distinguent sur ce territoire :

  • L’Ile de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin, chargée d’histoire puisque dès les années 1950, sa richesse ornithologique était reconnue, donnant naissance à la première réserve naturelle en 1975, agrandie en 2006, avec les limites qu’on lui connaît actuellement.
  • La Pointe de Courpain, confluence de la Loire et du Loiret, qui abrite une forêt alluviale de 13 ha, surface conséquente dans un environnement largement transformé par l’action de l’homme.
  • Les îles de Mareau-aux-Prés, chapelet de 4 îlots aux faciès bien différents : du banc de sable nu, colonisé peu à peu par la végétation, au boisement perché à plus de 5 mètres au-dessus de l’eau, relique d’une île formée dans les années 1940.

Entre métropole urbanisée et agriculture traditionnelle, la réserve naturelle de Saint-Mesmin est un lieu de protection de la biodiversité ligérienne, mais aussi un espace de ressourcement pour les nombreux promeneurs, visiteurs et usagers.
Les enjeux y sont multiples : riche patrimoine historique (église de La Chapelle-Saint-Mesmin, Croix de Micy, Plage de Fourneaux), enjeux touristiques (GR3, Loire à vélo…), enjeux sécuritaires, avec la nécessaire prise en compte du risque d’inondation et enfin, enjeux de cadre de vie, pour les nombreux riverains ou habitants de l’agglomération qui viennent se promener en bord de Loire, dans la réserve ou ses abords.

La gestion d’un tel espace met en interaction de nombreux acteurs en lien direct avec la Loire : communes, usagers, administrations, propriétaires riverains… Il serait illusoire de vouloir le protéger sans concertation.
Pour ce faire, Loiret Nature Environnement, l’association gestionnaire de la réserve naturelle de Saint-Mesmin, à l’instar des réserves naturelles de France, s’est donné les 4 missions suivantes :

  • Protéger la faune, la flore, les habitats, les paysages, en faisant respecter la réglementation inscrite dans le décret ministériel de création de la réserve.
  • Connaître le patrimoine naturel, faune et flore, en menant des inventaires dans tous les compartiments de la biodiversité, pour savoir ce que l’on protège et également pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes.
  • Gérer les espaces et les milieux, pour favoriser les espèces patrimoniales et répondre aux enjeux du territoire.
  • Faire connaître la richesse des espèces ligériennes et sensibiliser les différents publics, pour renforcer l’appropriation locale et espérer un meilleur respect des espèces et des milieux.

Espace protégé, certes, la réserve naturelle de Saint-Mesmin n’en est pas moins une zone d’évasion pour un public qui cherche à fuir l’urbanisation et son tumulte : pour une immersion dans la nature le temps d’une balade, un footing ou une sortie vélo, un pique-nique improvisé en famille, une randonnée, une sortie pour promener le chien, un lieu d’observation pour les passionnés d’oiseaux… Les motivations pour emprunter les chemins de la réserve sont donc multiples !
En période de canicule, les bords du Loiret sont plébiscités. Le public s’y concentre, laissant de nombreux impacts dans le milieu naturel : baignade, feux de camps, dépôts de déchets, véhicules, musique sonorisée…, bref, bien loin de l’idée que l’on peut se faire d’une réserve naturelle ! Le gestionnaire doit ainsi prendre en compte l’attractivité de certains sites et trouver des chemins pour concilier ses objectifs, avec les aspirations, plurielles, des usagers.

Protéger ET accueillir… C’est le grand paradoxe des réserves naturelles. Comment protéger la nature, en maintenant cet espace ouvert sur son environnement, accessible en tout temps ? Comment inciter le public à s’immerger dans la nature, à découvrir la richesse qui l’entoure, tout en limitant les impacts de la surfréquentation sur les milieux et le dérangement des espèces ?

Le plan de gestion, document de programmation quinquennale validé par l’État, est un outil indispensable pour faire émerger ces enjeux et apporter des réponses pour que cohabitent ces éléments qui semblent s’opposer.
Celui de la réserve naturelle de Saint-Mesmin a été adopté en 2016 et sera prolongé jusqu’en 2021. Il est bien entendu visé par un Conseil scientifique, composé d’éminents spécialistes de diverses disciplines (ornithologie, botanique, pédologie…). Mais la gouvernance de la réserve est aussi participative, avec un Comité Consultatif de Gestion, composé de 36 membres (administrations, scientifiques mais aussi élus et représentants des usagers).
C’est dans ce cadre qu’une réflexion commune avec les acteurs concernés, a été menée autour de la Pointe de Courpain, site qui concentre une fréquentation excessive en été, source de dégradations pour les milieux naturels, mais aussi de détériorations pour les parcelles agricoles voisines et de nuisances sonores pour les riverains.

Pour accéder à la confluence en temps normal, il faut cheminer pendant 2,5 km, distance sélective pour une partie du public. Pour marquer la différence entre la réserve naturelle et les espaces verts urbains, les poubelles ont été enlevées, les signalétiques directionnelles et réglementaires constituant le seul mobilier.

Lorsqu’il pénètre dans la réserve, le promeneur est interpellé par la profusion de végétation : les lianes de Houblon, de Clématite, s’élèvent à la recherche de la lumière ; les arbres morts, laissés sur place, participent, en se décomposant, au cycle de la matière. Ils abritent une multitude d’espèces d’insectes, comme l’impressionnant Lucane cerf-volant, et d’oiseaux (Pics épeiche, mar ou épeichette), ainsi que de nombreux champignons.
Cet apparent désordre peut choquer, comme le montre la sémantique utilisée lors de remarques telles que « le sous-bois est sale ! » ou « les abords du chemin auraient vraiment besoin d’être nettoyés ! ». L’ordre établi est ainsi bouleversé et le manque d’esthétisme invoqué. Le raisonnement est souvent anthropocentré, utilitaire ou économique, et les bénéfices pour l’équilibre de l’écosystème ne sont pas spontanément perçus. Un travail de pédagogie est alors indispensable pour faire comprendre l’intérêt de ce choix délibéré de naturalité, de cette libre évolution de la forêt, encadrée par de rigoureux protocoles scientifiques qui en mesurent les effets sur la biodiversité.
C’est pourquoi, les agents de la réserve proposent toute l’année des sorties, pour petits et grands, dans lesquelles ils expliquent et font découvrir la vie cachée de la nature en bord de Loire. Deux sentiers pédagogiques, en libre accès, permettent également au public de découvrir à la fois les espèces emblématiques, comme le Castor ou la Loutre, mais aussi les petits secrets des espèces ordinaires, comme la ronce ou le lierre.

Mais l’accès privilégié par le public estival, en quête de quiétude et d’eau fraîche, est situé sur l’autre rive de la rivière, où la levée de la Loire permet de stationner à 100 mètres du Loiret…
Plusieurs années de concertation entre les acteurs locaux, élus, propriétaires, exploitants agricoles et gestionnaires, avec l’appui de la DREAL Centre-Val de Loire et la DDT du Loiret ont été nécessaires. Pour espérer réduire la pression sur ce site très attractif, la solution choisie a été d’éloigner les véhicules, avec la mise en place de barrières.
Le consensus a été possible en contrepartie d’une fermeture estivale seulement, première étape décisive pour une meilleure protection du site. C’est ainsi que seuls vélos, trottinettes, promeneurs… peuvent aller jusqu’à la rivière, moyens de déplacement doux en phase avec les objectifs du territoire protégé.

Sur le reste de la réserve, la ripisylve n’est bien souvent présente que sous la forme d’un étroit liseré d’arbres. C’est pourtant un corridor indispensable pour la faune, une lisière riche en biodiversité entre terre et eau.
Déjà réduite, la ripisylve est soumise à une forte pression : pression des riverains et des promeneurs qui souhaitent avoir la vue sur la Loire, pression des élus qui évoquent aussi les notions esthétiques et sécuritaires, bien compréhensibles.
Il est vrai que dans un passé dont nos aînés se souviennent encore, bon nombre de secteurs étaient pâturés, le bois était coupé pour alimenter les cheminées et le paysage ouvert sur la Loire. Les choses ont changé, le classement en réserve naturelle a mis en exergue l’urgence écologique de préserver ces boisements riverains, mais les perceptions d’une Loire « de l’ancien temps », large et ouverte, résonnent avec force dans l’inconscient des habitants natifs des bords de Loire.
Afin d’offrir une réponse à cette demande sociale forte de vues sur la Loire, le plan de gestion permet d’avoir une vision d’ensemble du territoire, d’identifier les points de vue incontournables, les secteurs sensibles à préserver et les endroits de moindre valeur où il est possible de créer des ouvertures paysagères. L’enjeu est réellement d’adopter une logique d’ensemble pour éviter l’écueil d’actions désordonnées répondant seulement à des demandes individuelles. Celles-ci ne manqueraient pas de se multiplier, favorisant ainsi une lente régression de cet habitat identifié comme prioritaire. C’est ainsi que les ouvertures paysagères sont clairement cartographiées et que les nouvelles ne concernent que des sites colonisés par des essences exogènes envahissantes, comme l’Erable negundo, par exemple.

Cette portion de Loire est un trait d’union entre l’amont et l’aval, mais aussi un marqueur fort pour la population et pour l’identité de son territoire. Dans ce contexte, la réserve naturelle de Saint-Mesmin est indéniablement un lieu où doivent rimer respect de cette culture et protection de la nature… simple gageure ? Pas si sûr, et sans aucun doute une belle aventure !

Damien HEMERAY
Conservateur de la réserve naturelle de Saint-Mesmin

Illustration principale : Vue sur les îles de Mareau depuis le coteau à Saint-Ay. © Damien Hémeray / Loiret Nature Environnement